Écrit le 15/08/2025 par
Beaucoup d'histoires ont circulé au sujet de l'Agneau mystique. Cela fait un peu moins d'un siècle que le mystère du panneau volé passionne les détectives amateurs. Mais si nous nous intéressions aux 17 autres ? Qu'est-ce qui figure sur le tableau le plus célèbre de Gand ?

Tout d'abord, la version courte. L'Agneau mystique résume l'essence du christianisme. Le Christ s'est sacrifié comme un agneau pour sauver l'humanité. C'est pourquoi le monde entier vient adorer l'animal innocent en signe de gratitude. Le registre inférieur est en quelque sorte un défilé de groupes représentant la société : les chevaliers du Christ, les Juges intègres, les ermites, les vierges, les pères de l'église... Tous regardent l'agneau.

Une procession de la société du XVe siècle, en adoration devant l'Agneau

Le registre supérieur est celui de la glorification du Christ au ciel, où il est entouré de sa mère et de Jean-Baptiste, le premier à l'avoir reconnu comme sauveur. Les anges forment le chœur céleste. Et le lien avec l'homme lui-même, avec le spectateur, est établi par Adam et Eve. D'où la différence de perspective : vous les voyez d'en bas, du point de vue du spectateur.

Une histoire à part : le retable fermé

Les panneaux du retable fermé sont très différents en termes d'iconographie. On y voit l'annonce par l'ange Gabriel de la naissance du Christ, l'Annonciation. Cette naissance, selon la tradition, avait déjà été annoncée par les prophètes et les sybilles que vous voyez dans les lunettes supérieures. Ci-dessous les commanditaires, Joos Vijd et Elisabeth Borluut, à côté de Jean-Baptiste, qui était le saint patron de l'église Saint-Jean (le nom que portait alors la cathédrale Saint-Bavon).

L’église Saint-Jean, Jean-Baptiste, Jean l’Évangéliste, le petit Josse... tous des Jean

Le dernier personnage, Jean l'Évangéliste, est un marginal. Pour cela, il faut savoir quand l'Agneau mystique a été montré pour la première fois. Le 6 mai 1432, c’est dans l'église Saint-Jean qu’eut lieu la célébration du baptême de Josse, le fils du duc Philippe le Bon, qui allait devenir son héritier au trône (mais qui mourut deux ans plus tard). C'est à l'occasion de cette fête que le chef-d'œuvre a été dévoilé pour la première fois. En effet, le 6 mai est la fête de Jean l'Évangéliste.

Un rébus pour nous, mais pas en 1432

Il faut savoir aussi que les détails de l'Agneau mystique regorgent de symboles. Le lys de l'ange représente la pureté de Marie. La lumière dans la carafe d'eau représente l'immaculée conception. Dans le groupe des vierges consacrées, on reconnaît chacune à son attribut : Dorothée porte son panier de fleurs, Agnès un petit agneau, Barbara une tour. Saint-Liévin, quant à lui, tient les pinces avec lesquelles sa langue a été arrachée. Ce sont là les indices qui permettent de reconnaître chacun.

Saint-Liévin, patron de Gand, tient sa propre langue en tenailles.

Je parle d'indices, mais cela ne signifie pas que l'Agneau mystique était une énigme pour les spectateurs de l'époque. Le simple fait que Jean-Baptiste désigne le Christ, qu'il porte une barbe hirsute et une fourrure en poils de chameau a immédiatement permis à tout le monde de l’identifier. Il s'agissait de preuves iconographiques, de choses que les gens reconnaissaient aussi spontanément que nous reconnaissons aujourd'hui des succès gantois comme Het Vliegerken ou Mia.

Faune et flore symboliques

Quelques exemples : Le pélican sur le brocart d'or derrière la figure de Dieu. Il s'agit d'un motif christologique car, selon la légende, le pélican s'est ouvert la poitrine avec son bec pour nourrir ses petits de son sang. Il s’agit donc d’une analogie avec le Christ qui verse son propre sang. Un Gantois du XVe siècle le comprenait immédiatement, il s’agissait de connaissances élémentaires présentes entre autres dans les sermons.

Le lys, le symbole distinctif de la pureté de Marie

Eve ne tient pas une pomme, mais un etrog (cédrat), un agrume du Moyen-Orient dont la partie inférieure présente une trace circulaire, comme une « morsure ». Le nom flamand de ce fruit est la pomme d'Adam, il y a donc peut-être un jeu de mots. Mais ce n'est en tout cas pas une pomme ordinaire. Le fruit fait référence à l'Ancien Testament et donc aux coutumes juives. L'etrog joue un rôle cérémoniel dans la fête juive des Tabernacles (Souccot). Aujourd'hui encore, dans le quartier juif d’Anvers, on peut se procurer de la liqueur fabriquée à partir de ces etrogs.

Dieu, le Christ ou les deux ?

C’est une chose d’identifier les personnes et les choses. Mais si l'on veut comprendre la corrélation, pourquoi ces personnages en particulier se rencontrent, on se retrouve dans un débat théologique sans fin auquel nous n'avons toujours pas de réponse définitive. Prenons l’exemple du personnage sur le trône en haut. S'agit-il de Dieu ou du Christ ? Une multitude de livres ont déjà été écrits à ce sujet.

Un rayon bien fourni sur Van Eyck à la bibliothèque universitaire

C'est compliqué. Nous connaissons les trois personnages ensemble grâce à l'iconographie byzantine où la figure centrale est toujours le Christ. Marie et Jean Baptiste sont toujours assis à sa droite et à sa gauche. En grec, on parle de déisis. Le trio est omniprésent dans les églises orthodoxes de Russie et de Grèce. En revanche, on voit beaucoup moins ce motif chez nous, en Occident. Ce qui nous fait donc hésiter. De plus, des mots hébreux désignant Dieu figurent dans le brocart d'or derrière lui.

L'Agneau mystique, postmoderne

Si vous regardez à la verticale plutôt qu'à l’horizontale, vous pourriez voir la trinité. Dieu au sommet, en dessous de lui le Saint-Esprit représenté par une colombe et enfin Jésus représenté par un agneau. Mais pour la colombe, nous ne sommes pas sûrs à 100 % qu'elle ait été peinte par Van Eyck. Le débat se poursuit donc. L'historien de l'art Erwin Panofsky jurait que c’était Dieu. Pour Peter Schmidt, l'un des grands théologiens de l'Agneau mystique, il s’agit du Christ.

La discussion sur la figure de Dieu ne sera jamais close, et ce n’est pas grave

Ce que j’en pense ? Selon mon collègue et co-auteur Danny Praet, ce personnage reste ambigu précisément parce que le concept même de la figure de dieu est insondable. Van Eyck l'aurait délibérément peint comme un mystère divin. C'est un peu postmoderne, peut-être, mais cette théorie me plait. Et je trouve le sujet plus intéressant que le vol des Juges intègres.

Kunst, geschiedenis, wetenschap en religie komen samen bij de studie van Van Eyck

Maxi­mi­liaan Mar­tens

Maximiliaan Martens est professeur de sciences de l’art à l’université de Gand et spécialiste de Van Eyck reconnu au niveau mondial. Depuis 2010, il est très impliqué dans la restauration de l’Agneau Mystique et dans l’exposition Van Eyck, une révolution optique. Ce qui le passionnait lorsqu’il était étudiant le passionne encore aujourd’hui : comment la technologie et la recherche scientifique peuvent-elles apporter un nouveau regard sur les anciens maîtres ? 

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